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Travaux Scientifiques

Mise en station par la méthode de King

La mise en station par la méthode de King en utilisant une Webcam ou une caméra CCD a fait l’objet de quelques articles sur la toile et dans la revue « CCD & TELESCOPE » au cours des dernières années. Toutefois, ces articles incluent quelques erreurs et ne parviennent pas à expliquer dans les détails les justifications de la méthodologie utilisée.

Le but de cet article est de faire le point sur cette technique. La première partie décrit de manière approfondie la justification théorique de la méthode employée. La seconde partie décrit une mise en œuvre particulière de la méthode pour mettre en station une monture Vixen GP-DX pilotée par un SkySensor 2000 PC. Le logiciel C2A, qui implémente la méthode de King présentée dans cet article, est utilisé pour la mise en pratique.

Théorie de la mise en station par la méthode de King

Fondement de la méthode de King

La méthode de King consiste à réaliser des images de la zone du pôle céleste et à évaluer, puis à corriger, le défaut de mise en station de la monture en observant la dérive d’une étoile quelconque du champ. Cette méthode est basée sur une propriété cruciale à propos des dérives des étoiles près du pôle lorsque l’on utilise un télescope avec une mise en station imparfaite : la vitesse instantanée de dérive est constante en direction en en module pour toutes les étoiles du champ. C’est cette propriété qui constitue le fondement de la méthode de King. Il est à noter que cette propriété ne s’applique qu’au vecteur vitesse de la dérive d’une étoile sur un temps court car la dérive de l’étoile ne suit pas une trajectoire constante en direction et en vitesse (contrairement à ce qui est indiqué dans certains articles).

Il est assez facile de comprendre cette propriété à l’aide de la figure 1 où l’on représente dans un repère fixe le pôle Nord céleste P et le pôle pointé par l’axe horaire de la monture M (qui est l’intersection de son axe horaire avec la sphère céleste). Ce repère pointe vers l’horizon Nord en bas, vers le zénith en haut, vers l’Ouest sur la gauche et vers l’Est sur la droite. On utilisera dans le cadre de cet article le pôle céleste Nord, mais on pourrait tout aussi bien utiliser le pôle céleste Sud au prix d’une simple inversion du sens de rotation sidérale.

Figure 1

Considérons une étoile A suffisamment proche du pôle (typiquement à moins de 2 degrés) de manière à pouvoir faire l’hypothèse que la projection de cette partie de la voûte céleste sur un plan se fasse sans déformation significative. Durant un intervalle de temps τ suffisamment court (de l’ordre de quelques dizaines ou centaines de secondes), l’étoile A se déplace autour du pôle Nord céleste d’un angle ωτ où ω est la vitesse de rotation sidérale (A fait une rotation complète en 23h 56m 4s et ω vaut donc environ 7,29E-5 radians/s). On atteint alors le point B situé sur le cercle de centre P.

Dans le même temps, et en supposant que la monture est bien synchronisée avec la vitesse de rotation sidérale, le télescope a réalisé une rotation ωτ autour de son pôle M. Si la mise en station de la monture était parfaite, on n’observerait pas de dérive de la position de l’étoile A dans le champ du capteur lié à la monture. Comme ce n’est pas le cas, on voit dans le repère local du capteur (qui tourne autour de M) que l’étoile a dérivé du point B’ vers le point B. La direction de cette dérive observée sur un temps τ court est perpendiculaire à la droite qui joint le pôle Nord céleste P au pôle pointé par l’axe horaire de la monture M (comme représenté en vert sur la figure). La figure 2 montre plus en détail le déplacement apparent que l’on peut observer entre les points B’ et B.

Figure 2

La méthode de King s’appuie sur le fait que cette direction de déplacement est constante quelle que soit l’étoile choisie dans le champ. Il est facile de le vérifier en prenant un autre point A quelconque dans le plan de la figure, en traçant le cercle rouge de déplacement horaire centré sur P et passant par ce point A, puis en traçant le cercle bleu passant lui aussi par A et centré sur le pôle de l’instrument M. On vérifie dans cette nouvelle configuration que la dérive apparente de l’étoile suit la même direction perpendiculaire à la droite joignant les deux pôles.

On voit donc que l’observation de la dérive d’une étoile (en utilisant par exemple deux poses séparées de 10 minutes) permet de connaître facilement la direction du défaut de mise en station (cette direction est perpendiculaire au déplacement apparent de l’étoile). Mieux que ça, la connaissance précise du déplacement apparent de l’étoile permet de déterminer la position du pôle Nord céleste et donc de corriger la mise en station de la monture. L’objet du chapitre suivant est de calculer de manière formelle cette correction connaissant les valeurs du déplacement apparent d’une étoile sur une durée τ.

Détermination du pôle céleste par observation de la dérive d’une étoile

Le but de ce chapitre est de déterminer une formule pour obtenir la position du pôle Nord céleste à partir de la dérive observée d’une étoile pendant une durée connue τ. Pour se faire, nous allons raisonner formellement en utilisant des matrices de rotation qui permettent de passer entre les différents repères qui interviennent typiquement dans le cadre de l’utilisation d’une monture équatoriale ayant un défaut de mise en station. Nous utiliserons des notations et une méthode proches de celles présentées dans l’article d’Alain Maetz (« CCD & TELESCOPE No 14 de février 1999 »).

La méthodologie est la suivante : une Webcam ou une caméra CCD est montée au foyer d’un instrument fixée sur une monture incorrectement mise en station (à moins de 1 degré du pôle). Le suivi sidéral de la monture est en marche et on suppose qu’il est correctement réglé en vitesse. Une première image d’un champ avec une étoile brillante de référence près du pôle Nord céleste est prise à l’instant t1. Sans toucher à la monture, et avec le suivi sidéral en marche, on attend un certain temps (de l’ordre de 10 ou 15 minutes) jusqu’à un instant t2 auquel on prend une seconde image. Il faut bien sûr que l’étoile de référence apparaisse sur cette seconde image et donc que la dérive ne soit pas trop importante. L’intervalle de temps séparant les deux images est noté τ (qui vaut t2 – t1). En comparant les deux images, on mesure le déplacement apparent de l’étoile de référence dans le système de coordonnées de la Webcam ou du CCD selon l’axe horizontal et l’axe vertical du capteur.

Nous utiliserons comme référentiel fixe le repère présenté dans le chapitre précédent qui est lié aux quatre directions Zénith, Ouest, Horizon et Est. Ce repère sera nommé R(x, y). Nous prendrons un second repère R’(x’, y’) ayant pour origine le pôle M pointé par l’axe horaire de la monture du télescope. R’ est obtenu à partir de R à l’aide d’une simple translation de valeur (xM, yM). La Webcam (ou la caméra CCD) liée à la monture peut avoir une orientation quelconque. Nous considèrerons ici qu’elle définit un repère R’’(x’’, y’’) d’origine M qui se déduit de R’ par une rotation d’un angle quelconque θ. Enfin, nous considèrerons un dernier repère R’’’(x’’’, y’’’) qui est obtenu à partir de R’’ par une rotation d’une angle ωτ autour de M correspondant à la rotation sidérale pendant l’intervalle de temps τ qui sépare les deux images successives permettant de mesurer le déplacement de l’étoile cible. La figure 3 montre les différents repères qui ont été définis.

Figure 3

Prenons une étoile positionnée au point A de coordonnées (xA, yA) dans le repère fixe R. Notre but est d’exprimer les coordonnées du pôle céleste P dans le repère R’’’ qui est le référentiel de la caméra à l’instant t2 de la seconde prise de vue. Ces coordonnées doivent être exprimées en fonction de ce que l’on peut connaître à l’issue de nos mesures, c’est-à-dire :
 La position du point A dans le repère R’’ qui est le référentiel de la caméra à l’instant t1. Ces coordonnées sont notées (x’’A, y’’A) ;
 La position du point B dans le repère R’’’ qui est le référentiel de la caméra à l’instant t2. Ces coordonnées sont notées (x’’’B, y’’’B) ;
 L’intervalle de temps τ qui sépare les deux prises de vue aux instant t1 et t2 (et qui vaut t2 – t1).

Exprimons que l’étoile A se déplace au point B (du fait du mouvement sidéral) après une rotation de ωτ radians autour du pôle P. Cette transformation s’exprime simplement sous la forme :

Equation (1)

Ω est la matrice associée à cette rotation et elle est définie de la manière suivante :

Exprimons maintenant les coordonnées des points A et B dans le repère R’. Comme il s’agit d’une simple translation, on peut écrire :

x’A = xA - xM

y’A = yA - yM

et on en déduit donc :

xA = x’A + xM

yA = y’A + yM

De même :

xB = x’B + xM

yB = y’B + yM

L’équation (1) devient donc :

Equation (2)

I étant la matrice identité

On peut se débarrasser dans l’équation (2) des coordonnées (xM, yM) du point M en remarquant que :

xM = -x’P et yM = -y’P

avec (x’P, y’P) qui sont les coordonnées du pôle P dans le repère R’. On obtient finalement à partir de l’équation (2) :

Equation (3)

Transformons maintenant les coordonnées du point B depuis le repère R’ vers le repère R’’’ qui est le repère de la caméra à l’instant t2. Il s’agit d’appliquer deux rotations successives correspondant aux angles θ et ωτ. On a donc

Remplaçons dans cette expression les coordonnées x’B et y’B avec les valeurs obtenues dans l’équation (3) :

Equation (4)

Or

L’équation (4) devient donc :

D’où

Equation (5)

Ceci constitue une étape importante dans notre démonstration puisque l’on a réussi à réunir dans une même expression les coordonnées du point B dans le repère R’’’, les coordonnées du point A dans le repère R’’ et les coordonnées du pôle P dans le repère R’’. De plus, on ne fait intervenir que l’angle ωτ (l’angle θ n’apparaît pas). Il ne nous reste plus qu’à utiliser les coordonnées du point P dans le repère R’’’ puisque c’est ce que nous cherchons. Pour passer du repère R’’ au repère R’’’, il faut réaliser une rotation d’un angle ωτ. On peut donc dire :

L’équation (5) devient donc :

Equation (6)

On peut poser :

Δx et Δy représentent les déplacements en X et Y sur le capteur de la caméra. Dans notre méthodologie, ce sont donc bien des grandeurs que l’on connaît.

On obtient alors à partir de l’équation (6) :

D’où finalement :

Equation (7)

Il s’agit bien de la relation que l’on cherchait puisqu’on exprime les coordonnées du pôle P dans le repère R’’’ en fonction de ωτ et du déplacement apparent de l’étoile sur la caméra (Δx et Δy). Il ne reste maintenant plus qu’à expliciter la formule (7) de manière à pouvoir la programmer.

Commençons par expliciter l’expression (I - Ω) :

Equation (8)

On sait que l’inverse A-1 d’une matrice carrée

peut être exprimée de la manière suivante :

L’expression (I - Ω)-1 dans l’équation (7) devient donc :

On peut finalement réécrire l’équation (7) dans sa forme finale :

Que l’on peut écrire sous la forme suivante :

Equation (9)

On a bien réussi à exprimer les coordonnées du pôle céleste P dans le système de coordonnées de la caméra à l’instant t2. Pour corriger la mise en station, il suffit d’utiliser l’image réalisée à l’instant t2 et d’opérer une translation de l’étoile de référence selon un vecteur ( x’’’P, y’’’P) en utilisant les réglages en azimut et hauteur de la monture. La figure 4 montre en trait bleu comment l’étoile doit être déplacée dans le champ de la caméra pour amener le point M sur le pôle céleste P.

Il faut que cet ajustement de la monture en azimut et hauteur soit réalisé assez rapidement après l’instant t2 car l’étoile de référence continue bien sûr de se déplacer dans le champ de la caméra.

Voyant maintenant comment ce principe peut être mis en œuvre pour la mise en station d’une monture.

Mise en œuvre sur une monture Vixen GP-DX

Les formules de calcul des corrections à apporter à une monture en azimut et hauteur en fonction des dérives observées sur une étoile près du pôle ont été implémentées dans le logiciel C2A pour Windows (http://www.astrosurf.com/c2a/). La mise en œuvre de la méthode de King se fait de la façon suivante :

 On ouvre l’outil d’acquisition d’images de C2A. Une zone de cette fenêtre (« Acquisition ») permet soit de réaliser une acquisition d’une simple image, soit de lancer la méthode de King pour la mise en station (voir la copie d’écran ci-dessous). Il est à noter qu’à ce jour, l’acquisition d’image dans C2A ne peut être réalisée qu’au travers du logiciel Maxim DL (http://www.cyanogen.com/) qui est le logiciel utiliser par l’auteur de ces lignes.
 On se connecte au logiciel Maxim DL (qui lui-même pilote la caméra CCD ou la Webcam) en utilisant le bouton de connexion présent dans la zone Acquisition de la fenêtre de traitement des images.
 On spécifie une durée en secondes dans la zone prévue à cet effet. Ce sera le temps d’attente entre les deux images successives utilisées pour calculer les dérives de l’étoile.
 On lance la méthode de King en cliquant le bouton « Méthode de King ». Le logiciel fait alors l’acquisition d’une première image et demande de désigner une étoile dans le champ obtenu. Il est à noter que les seuils de visualisation et le niveau de zoom peuvent être réglés selon les souhaits de l’utilisateur.
 Une fois l’étoile de référence identifiée, il faut attendre durant le délai spécifié. A l’issue de ce temps d’attente, C2A lance ensuite l’acquisition d’une deuxième image puis demande à l’utilisateur d’identifier la même étoile que dans le premier champ.
 C2A est alors capable de calculer automatiquement la dérive de l’étoile et donc le défaut de mise en station sachant qu’il connaît le temps écoulé entre les deux images. Le logiciel affiche alors à l’écran la position initiale de l’étoile (cercle rouge), la position après le délai d’attente (en jaune) et la position à laquelle il faut amener l’étoile pour corriger le défaut de mise en station (double cercle bleu).
 C2A lance alors des acquisitions successives d’images tout en continuant à afficher la position à laquelle l’étoile de référence doit être amenée. L’utilisateur n’a plus qu’à modifier doucement les réglages en azimut et hauteur de la monture pour amener l’étoile de référence à la bonne position.

La copie d’écran ci-dessous montre la fenêtre d’acquisition telle qu’elle se présente après avoir amené l’étoile de référence à la bonne position (double cercle bleu). L’étoile était dans le cercle rouge lors de la première prise d’image et dans le cercle jaune lors de la seconde prise d’image.

Pour illustrer cette technique, voici les résultats obtenus lors de la mise en station d’une monture Vixen GP-DX le 20 février 2009. Une mise en station approximative est tout d’abord effectuée à l’aide du viseur polaire intégré à la monture.

Une première itération de la méthode de King est exécutée avec un temps d’attente de 3 minutes seulement. En effet, l’expérience montre qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser des temps d’attente trop longs lors de la première itération (le but étant de dégrossir la mise en station). Le résultat reporté par C2A est le suivant :

19:47:53 Erreur Alpha de la mise en station : -6,32’

19:47:53 Erreur Delta de la mise en station : -1,44’

On est donc à environ 6 minutes d’arc du pôle nord céleste en ascension droite et à 1,5 minutes en déclinaison. C2A indique alors où déplacer l’étoile de référence comme cela est montré dans la copie d’écran ci-dessous :

Le déplacement est assez important puisqu’il s’agit d’une première itération.

Une seconde itération de la méthode de King est alors lancée avec cette fois-ci un temps d’attente de 5 minutes entre les deux poses. Les résultats reportés par C2A sont les suivants :

19:55:54 Erreur Alpha de la mise en station : -0,69’

19:55:54 Erreur Delta de la mise en station : -0,03’

L’effet de la première correction est immédiatement visible ! L’axe de notre télescope est maintenant à moins d’une minute d’arc du pôle nord céleste. La copie d’écran ci-dessous montre où l’étoile de référence doit être amenée :

On voit que le déplacement est maintenant bien moindre que lors de la première itération.

Une troisième itération avec un temps d’attente de 300 secondes est ensuite lancée. Les résultats obtenus ne sont pas meilleurs que lors de la seconde itération :

20:02:50 Erreur Alpha de la mise en station : 0,11’

20:02:50 Erreur Delta de la mise en station : -0,49’

L’expérience montre qu’avec la monture GP-DX, il est illusoire d’essayer d’obtenir une qualité de mise en station meilleure qu’une minute d’arc. En effet, les flexions de la monture ne permettent pas de descendre à un meilleur niveau de précision.

On voit donc qu’à l’aide de la méthode de King et son implémentation dans C2A, on est capable de mettre en station de manière précise une monture GP-DX en moins de 15 minutes.

Voici à titre d’exemple une image de M51 obtenue depuis le centre de Toulouse avec la monture GP-DX mise en station par la méthode de King décrite cet article. Une caméra CCD SBIG ST-8XME était montée au foyer d’une lunette TeleVue 85 avec un filtre anti-pollution LPS. Plusieurs images ont été cumulées pour un total de 20 minutes de pose.

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